De l’urgence d’une nouvelle photographie humaniste
Toutes les photographies, à partir du moment où elles sont cadrées, ou regardées comme des photographies, c’est-à-dire comme une image faite par l’homme et emprisonnée dans un cadre donné, qui veut recevoir le regard, sont la manifestation d’une volonté humaine et en témoignent.
Parce qu’elle est cadrée et limitée, parce qu’elle représente un regard et sa frontière, la volonté d’une découpe et d’un sens, parce que cette volonté peut être celle de l’auteur ou même, en son absence, celle d’un spectateur qui regarde et lui prête du sens, la photographie, comme toute image, est une représentation qui s’annonce relative et renvoie à l’humanisme, vision du monde dont l’Homme est la mesure.
Une fois qu’on a posé cet aspect incontournable, il faut reconnaître qu’il y a des photographies plus humanistes que d’autres. Il est ainsi de tradition d’appeler Photographie Humaniste une photographie Française apparue dans les années trente, qui arrive à sa plénitude au lendemain de la seconde guerre mondiale. Sa source est au départ nourrie de propagande communiste, avec une exaltation de la beauté du peuple. Mais ce peuple ne s’incarne plus dans le statuaire monstrueux et triomphant des héros russes ou allemands d’avant-guerre.
On a vu de près désormais que le triomphe du peuple canalisé dans les grandes idéologies ne donne pas grand-chose de bon : le triomphe du peuple et de son bon sens a mené droit à la guerre mondiale et, dans la France à reconstruire, les tickets de rationnement ne sont pas près de disparaître. Si rien ne bon n’est sorti des divers populismes, la victime principale des guerres est objectivement le petit peuple lui-même, abusé par des gros malins.
Cette conception de l’humanisme n’a plus le même impact dans un monde contemporain où les individus abandonnent tout exercice de pensée personnelle, occupés qu’ils sont à consommer des produits technologiques et distraits à chaque moment par une masse impossible à digérer d’informations non hiérarchisées. Il ne s’agit plus de se contenter de trois fois rien et de profiter de moments un peu moins hostiles, il s’agit maintenant de se mettre à penser pour comprendre quel est exactement l’essence d’un monde qui semble avoir changé d’échelle, d’un monde qui n’est plus comme celui de Doisneau à la mesure des plaisirs simples de notre corps, faute de tous les autres.
Le nouvel humanisme en photographie est un humanisme qui installe ainsi les conditions du silence, nécessaires à la pensée.
Elle ne militerait pas pour un amour compassionnel aux victimes mais réveillerait en chacun l’homme de pensée que la Renaissance avait voulu : un être ouvert au monde, curieux de tout, balancé et perspicace dans la pensée, résolu et efficace dans la décision et l’action.
Tout le contraire du citoyen ordinaire des sociétés occidentales : soi-disant résistant averti, mais en fait abruti par la technologie et la consommation, capricieux, versatile, purement négatif et incapable de la moindre action socialement utile.
Il y a grande urgence à une belle photographie humaniste. Mais elle n’est pas forcément celle qu’on croit.
3 décembre 2016
Parcours :
Ecole Nationale Supérieure de Beaux-Arts de Paris,
Professeur de photographie Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Nîmes
Créateur de galerie-photo, le Site Français de la Photographie Haute Résolution
www.photographie-peinture.com